Licenciement fondé sur des témoignages anonymisés

Licenciement fondé sur des témoignages anonymisés : la Cour de cassation précise les conditions de recevabilité

Dans un arrêt rendu le 19 mars 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation poursuit sa construction jurisprudentielle sur la délicate articulation entre le droit à la preuve et les exigences du procès équitable. Elle s’est prononcée sur la recevabilité de témoignages anonymisés produits à l’appui d’un licenciement pour faute grave, en rappelant les principes applicables en matière de preuve dans le procès civil, à la lumière de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Contexte du litige

Un salarié, licencié pour faute grave au motif d’un comportement jugé intimidant et agressif envers ses collègues, contestait la rupture de son contrat de travail devant la juridiction prud’homale. Pour justifier la gravité des faits reprochés, l’employeur avait produit des constats d’audition réalisés par huissier, contenant les témoignages anonymisés de plusieurs salariés.

La cour d’appel de Chambéry avait refusé d’accorder une valeur probante à ces témoignages, au motif qu’ils ne permettaient pas un débat contradictoire effectif et ne précisaient ni l’identité, ni la qualité des témoins, ni la période concernée. Elle avait, en conséquence, jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La décision de la Cour de cassation

La Haute juridiction casse l’arrêt d’appel en énonçant les principes suivants :

  • Si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, ceux-ci peuvent néanmoins être pris en compte s’ils sont corroborés par d’autres éléments de preuve permettant d’en apprécier la crédibilité et la pertinence.
  • Il appartient au juge, lorsque ces éléments sont absents, d’apprécier si la production de ces témoignages est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte portée aux droits de la défense est strictement proportionnée au but poursuivi.
  • En l’espèce, l’identité des témoins était connue de l’employeur et de l’huissier, les témoignages avaient été rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs, et leur contenu avait été communiqué au salarié. Ces éléments devaient conduire à un examen in concreto de la proportionnalité de la mesure, ce que la cour d’appel avait omis de faire.

Apport de la décision

La Cour de cassation confirme son alignement sur les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme : le principe du contradictoire et l’égalité des armes peuvent, dans certaines circonstances, être aménagés, dès lors que les limitations apportées n’en altèrent pas la substance et que des garanties procédurales suffisantes viennent les compenser.

Cet arrêt réaffirme également la portée de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur. Lorsqu’il est confronté à des faits susceptibles de troubler le bon fonctionnement de l’entreprise ou de porter atteinte à la santé des salariés, il peut légitimement produire des témoignages anonymisés, à condition que leur usage soit strictement encadré.

Conclusion

En conciliant droit à la preuve et garanties d’un procès équitable, la Cour de cassation rappelle que le recours à des témoignages anonymisés ne saurait être systématiquement écarté. Il appartient au juge du fond d’en apprécier la nécessité, la proportionnalité et la crédibilité, au regard de l’ensemble de la procédure.

Cass. soc, 19 mars 2025, n°23-19-154