Revirement de jurisprudence concernant la reprise des actes effectués pour une société en cours de formation

Par trois arrêts en date du 29 novembre 2023, la cour de cassation opère un important revirement de jurisprudence sur la question de la reprise des actes effectués pour une société en cours de formation.

Pour mémoire, il résulte des articles 1842 du Code civil et L. 210-6 du Code de commerce qu’une société ne jouit de la personnalité morale qu’à compter de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Ainsi, une société non encore immatriculée n’a pas la capacité juridique pour contracter. Or, il est fréquent en pratique que le démarrage de l’activité économique rende nécessaire la passation de certains actes tels que l’ouverture d’un compte bancaire ou la conclusion d’un contrat de bail. Les associés fondateurs sont ainsi amenés à conclure des actes dans l’intérêt de la société en cours de formation.

A cet égard, le législateur a prévu une procédure de reprise des actes, afin que la société soit tenue aux actes passés dans son intérêts en lieu et place des associés signataires. Ces engagements sont alors réputés avoir été passés, dès l’origine, par la société elle-même.

L’interprétation de ces dispositions par la Cour de cassation a donné lieu à une jurisprudence constante très rigoureuse. La Haute juridiction jugeait en effet que seuls les actes expressément souscrits « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation pouvait faire l’objet d’une reprise. Ainsi, était nuls les actes passés « par » la société, peu importe qu’il ressorte des mentions de l’acte ou des circonstances de l’espèce que l’intention des parties fût que l’acte soit accompli en son nom ou pour son compte.

Par ses arrêts du 29 novembre 2023, la Chambre commerciale de la cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, marquant un assouplissement des conditions permettant la reprise d’un acte passé dans l’intérêt d’une société en formation

La cour reconnaît en effet que l’exigence selon laquelle l’acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu’il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résulte pas explicitement des textes légaux régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation.

Elle considère alors que le juge a le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits.

Cass.com. 29 novembre 2023, n° 22-12.868 ; Cass.com. 29 novembre 2023, n°22-18.295 ; Cass.com. 29 novembre 2023, n°22-21.623