Dans un arrêt rendu le 12 février 2025 (Cass. com., 12 févr. 2025, n°23-11.410), la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue préciser les modalités de distribution des dividendes prélevés sur un compte de report à nouveau, en adoptant une position stricte qui bouleverse certaines pratiques largement répandues.
En l’espèce, les associés d’une société par actions simplifiée avaient décidé, lors de l’assemblée générale annuelle, d’affecter le bénéfice de l’exercice au report à nouveau. Quelques mois plus tard, une nouvelle assemblée générale avait décidé de distribuer des dividendes prélevés sur ce report à nouveau, avant la cession de l’intégralité des actions de la société. A l’issue de la cession, les anciens associés avaient assigné l’acquéreur en paiement des dividendes. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, saisie du litige, avait rejeté leur demande au motif que les capitaux propres étaient insuffisants pour autoriser une telle distribution.
Ce raisonnement a été censuré par la Cour de cassation, qui recentre l’analyse sur la validité même de la décision de distribution. La question posée à la Haute juridiction était de savoir si une telle distribution, décidée en dehors de l’assemblée générale ayant approuvé les comptes, était valable.
S’appuyant sur les articles L. 232-11 et L. 232-12 du Code de commerce, la Cour de cassation rappelle que le bénéfice distribuable est constitué du bénéfice de l’exercice, diminué des pertes antérieures et des sommes à porter en réserve, augmenté du report bénéficiaire. Elle précise que le report à nouveau d’un exercice est intégré au bénéfice distribuable de l’exercice suivant et que seule l’assemblée générale approuvant les comptes de cet exercice est habilitée à décider de son affectation ou de sa distribution. Dès lors, une délibération postérieure et indépendante de cette assemblée, prévoyant une distribution sur le report à nouveau, encourt la nullité.
La solution adoptée confirme ainsi le caractère impératif des textes en matière de distribution de dividendes, excluant toute dérogation, même par décision unanime des associés.
Elle contredit la position récemment prise par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 30 janvier 2025 (CA Paris, 30 janv. 2025, n°22/17478), qui avait admis la possibilité de distribuer les sommes inscrites au report à nouveau en dehors de l’assemblée annuelle d’approbation des comptes.
À la lumière de cette décision, les sociétés doivent redoubler de vigilance. Il est désormais recommandé, lors de l’assemblée générale annuelle, d’anticiper d’éventuelles distributions futures en affectant préalablement des sommes en réserves distribuables. À défaut, toute tentative de distribution ultérieure directement sur le report à nouveau pourrait être frappée de nullité, avec les conséquences juridiques que cela implique, notamment en matière de restitution des dividendes indûment perçus et de responsabilité des dirigeants.
Il convient également de rappeler que toute distribution doit respecter les exigences de l’article L. 232-11, alinéa 3 du Code de commerce, qui interdit toute distribution susceptible d’abaisser les capitaux propres en dessous du capital social augmenté des réserves non distribuables.
En définitive, si l’assemblée générale ordinaire peut décider de la distribution de sommes mises en réserve, seule l’assemblée générale appelée à statuer sur l’approbation des comptes est habilitée à se prononcer sur la distribution du report à nouveau.
Cass. com., 12 févr. 2025, n°23-11.410